Jour 1-
La division Condorcet dans les tranchées de la Grande Guerre
Cher journal,
J’ai reçu aujourd’hui comme mission de dresser un tableau vivant de notre journée depuis notre départ de Nailloux, jeudi soir. Le départ fut déchirant et nous dûmes consoler de nombreux élèves émus de quitter leurs parents. Grâce aux doudous que certains ont emporté (oui, oui…), les yeux embués de larmes ont progressivement fait place à des regards de plus en plus éteints et, ce matin, à de belles cernes.
Que les parents inquiets se rassurent, les élèves ont très bien dormi : bénéficiant d’un exceptionnel confort pour les pieds, de sièges en position allongée, bercés par le ronronnement du bus et la comptine de Madame B. (« Dors, bébé dors, il pleut dehors, bébé dort, dort encore… » Jean-Jacques Goldman), ils n’ont pas résisté longtemps et se sont finalement réveillés à 52 kilomètres de Péronne, haut lieu de la Première Guerre mondiale.
Quel bonheur de marcher dans les pas des soldats de la Grande Guerre et de faire un tour du monde du quotidien des soldats : marcher dans les tranchées canadiennes sous les yeux d’un caribou, se souvenir au monument de Thiepval des soldats britanniques disparus, mesurer la violence des explosions de mines au cratère de la Boisselle occupé par les soldats allemands.
Les élèves ont conforté leurs connaissances sur la bataille de la Somme grâce à un ensemble de fiches pédagogiques remarquables élaborées par M. L. et M. M. Pris entre la fierté de voir leur travail suffisamment reconnu pour figurer – ô surprise – sur le site de l’Historial et le désagrément d’avoir été plagié, ces deux enseignants ont su prendre sur eux pour voir – au-delà de cette absence de reconnaissance et du manque de confiance de mes deux collègues et moi – ce que les élèves pouvaient retirer du contact direct avec les objets et les œuvres de la Grande Guerre.
Pensant que les élèves étaient quelque peu épuisés de leur périple, nous leur avons proposé de rentrer à l’hôtel sitôt le repas terminé. Quelle ne fût pas notre surprise quand d’un seul homme, ils se sont levés et nous suppliés de les amener sur la Grand’-place d’Arras pour découvrir ce chef d’œuvre inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais qui était suffisamment à la hauteur pour conduire notre division vers son objectif ? je me suis proposée, mais Mme K. a fait jouer son expérience et son grade. Jusqu’à la première rue. Après, elle m’a laissé la main. C’est rassurant, quand on sait qu’elle aura la responsabilité d’un groupe dans 72h à Amsterdam…
Que restera-t-il de cette première journée dans la mémoire de nos élèves lorsqu’on sait, comme le disent si bien les professeurs d’histoire, que « la mémoire n’est que l’organisation volontaire ou involontaire des silences et des oublis » (Pierre Laborie) ? Réponse demain.
Bonne nuit à tous et toutes.
Sergent C., jeune recrue enthousiaste de la division Condorcet.
Jour 2-
C'est à Lorette, sur le plateau, qu'on va laisser notre peau,...
Cher journal,
Toujours enthousiastes, les élèves ont découvert la mise en mémoire de la Grande Guerre.
Heureusement, le beau temps était toujours de la partie. Au pire, me suis-je pensé, j’ai des médicaments pour soigner les rhumes.
Ils ont pu comparer le plus grand cimetière allemand (Neuville-Saint-Vaast), la plus grande nécropole française (Notre-Dame de Lorette) et le mémorial britannique d’Arras ;
Sous l’apparente uniformité de ces lieux de mémoire, les élèves ont noté les spécificités des pratiques funéraires et des rites commémoratifs d’un pays à l’autre.
Ils se sont ensuite rendus à la carrière de Wellington aménagée par des pionniers néozélandais entre 1915 et 1917 pour enrichir encore un peu plus leur connaissance de la guerre.
Si certains élèves présentaient des risques de claustrophobie, j’ai su les rassurer et apaiser les troubles. Au pire, me suis-je pensé, j’ai des médicaments pour calmer les angoisses.
Tous à table ! Et mangez bien parce que ce soir, le ravitaillement risque de ne pas arriver.
Hélas ! Je ne croyais pas si bien dire, vu notre arrivée à Amsterdam...
Et alors que chacun s’assoupissait dans le bus, nous avons improvisé une petite chorale rendant hommage à la région (« Les Corons », P. Bachelet) et aux soldats de la Grande Guerre (« La chanson de Lorette », 1915).
Volontaires, enthousiastes, tout le bus a repris les chansons sous la houlette de chefs d’orchestre d’exception. Pris dans l’élan, Mme K. et Mlle C. ont poussé la chansonnette. Au pire, me suis-je pensé, j’ai des médicaments si certains élèves ont les oreilles qui saignent.
Oui. Cette deuxième journée a tenu presque toutes ses promesses.
Il ne nous reste plus qu'à régler le problème des repas non réservés. Mais c'est aussi ça les voyages : des imprévus, des rebondissements, des émotions, de l'action... et des problèmes de connexion vu le temps que nous a pris la mise en ligne de ce rapport.
C'est pas grave. On réglera ça demain. En attendant, tous au fast food !
Et l’on peut signaler pour finir l’emballement des élèves à l’annonce de leur participation prochaine à une émission TV que la censure ne m’autorise pas à citer mais qu’un lecteur attentif saura découvrir.
Capitaine B. au rapport.
Jour 3-
La division Condorcet à Amsterdam.
Cher journal,
Après deux longues journées passées sur l’histoire, enfin une respiration : les élèves ont pu découvrir la maison de Rembrandt : la force des expressions et des émotions des sujets, la finesse des gravures, l’explosion des pigments de couleur, la variété des objets accumulés dans le cabinet de curiosité… Autant de traits caractéristiques de l’artiste qui avait à cœur de transmettre son talent à ses contemporains. Je compte donc demander à l’établissement une petite rallonge pour le budget de la division Condorcet pour acheter le matériel nécessaire à la mise en place d’un atelier de gravure digne de ce nom.
Le temps que chaque groupe visite la maison, nous avons pu commencer à découvrir les canaux emblématiques de la ville d’Amsterdam. La beauté des façades, des couleurs, des formes, l’enchevêtrement des vélos nous ont beaucoup inspiré… Je compte donc demander à l’établissement une petite rallonge au budget de notre division pour mettre en place une piste cyclable et des canaux en salle 101 pour prolonger cette impression dans l’esprit des élèves.
Consciente que l’approche artistique n’a aucun sens sans une solide assise historique, nous sommes revenus à des choses plus sérieuses avec la visite, à deux heures d’Amsterdam, du camp de transit de Westerbork. Le contraste entre le vide saisissant des lieux (la plupart des baraques ayant disparu) et la force des œuvres entretenant la mémoire du site était impressionnant. Je compte à cet égard demander à l’établissement une petite rallonge au budget de notre division pour prendre des cours d’anglais afin seconder les professeurs d’histoire géographie qui ont traduit avec brio, pendant plus d’une heure, les propos des guides du musée.
Nous avons enfin repris la route vers Amsterdam pour aller dîner en ville avant de rentrer à l’auberge de jeunesse pour un repos bien mérité. Il ne nous reste plus qu’à border les élèves et leurs souhaiter de bien récupérer. Ils en auront bien besoin afin de faire bonne figure à 7h00 lors du footing matinal. Je compte donc demander à l’établissement une petite rallonge pour le budget de notre division pour aménager en salle 101 une piste d’athlétisme autour de la piste cyclable (cf : ci-dessus).
Je prépare un devis et nous discuterons à notre retour de ces propositions.
Lieutenant-Colonel K.
Jour 4-
Une belle et bonne journée
Cher journal,
Qu’est ce qui définit selon vous une bonne journée ? Ce sont d’abord des visites bien organisées : la maison d’Anne Frank, ce matin, aura sans nul doute marqué les élèves. Après un atelier pédagogique, les élèves ont en effet pu découvrir « l’Annexe » aménagée à l’arrière de la fabrique du père d’Anne. La force du lieu tient autant dans la découverte de chaque pièce décrite dans le journal que dans le silence et le vide qui rappelle le poids des absents.
Seconde visite, tout aussi bien organisée : le Rijksmuseum, un musée d’art consacré aux chefs d’œuvre de la peinture hollandaise (Rembrandt, Vermeer,…). Mme B. et Mme K. ont d’abord réparti les élèves en quatre groupes placés sous la responsabilité d’un enseignant… avant de rapidement subdiviser les leurs en une multitude de sous-groupes entre ceux de Mme K. partis chercher ses élèves qui s’étaient perdus dans le musée et ceux du groupe de Mme B. qui cherchaient leur responsable partie compléter les questionnaires des quatre groupes. Les élèves sont ensuite partis à la recherche d’œuvres précises pour répondre à des questions. Une fois la fiche pédagogique complétée, les élèves pouvaient reconstituer une phrase grâce à un ingénieux système de lettres. « Tiens, me suis-je pensé, Madame K. et Mme B. ont souhaité les faire parler néerlandais car on trouvait la phrase suivante : VSCVRTYSFFZOUGX, ce qui, en néerlandais, signifie : « j’aurais dû penser à mettre des voyelles »
Une bonne journée, c’est aussi de bonnes surprises et les élèves ont eu tout le loisir de s’amuser en jouant dans un parc à côté du musée en attendant l’heure du repas. Mais une autre surprise nous attendait. Une des élèves venait de réaliser son rêve : faire du skate sur une rampe… sans skate. Et du coup sans genou. Bref : à l’heure où nous écrivons ce message, nous sommes partis à la découverte du système hospitalier néerlandais… Quelle visite intéressante : fauteuils roulants qui se décrochent avec une pièce de deux euros, revues de running et de tunning dans la salle d’attente et un diagnostic rendu par une secrétaire suffisamment formée pour faire un diagnostic sans voir le genou : « rentrez à l’hôtel, prenez un doliprane et demain ce sera terminé ». Bon. On attend quand même un second avis d’un vrai médecin.
Quand on pense que l’on emmène demain, 53 élèves sur des routes humides et glissante, avec un vent de 140 km/h pendant près de 10 heures sur une cinquantaine de km, on se dit que c’est un plus de connaître l’adresse d’un bon hôpital.
C’est aussi ça une bonne journée : la capacité à regarder dans toute situation – même les plus compliquées – ce qu’il y a de positif.
Général M.
Jour 5-
Escapade à vélo.
Cher journal,
Notre journée fut consacrée à une tâche complexe – summum de l’offre pédagogique : faire du vélo. L’activité nécessitait en effet une maîtrise de savoirs (code de la route), de savoirs faire (se tenir en équilibre sur deux roues) et d’aptitudes (se repérer dans une ville où le code de la route n’est pas appliqué).
Premier défi de la journée vélo : se suivre à 56 en file indienne sur les pistes cyclables en essayant de s’adapter aux règles de priorités très personnelles des Hollandais. Nous prodiguions conseils et recommandations aux élèves sous la forme de cris : « VÉLO EN FACE !!! SERREZ A DROITE !!! » Nous sommes finalement arrivés au ferry où nos élèves ont pu profiter d’une merveilleuse croisière organisée par B. voyage. L’air frais des embruns a permis à chacun de s’accorder quelques petites minutes de récupération avant d’attaquer le gros du parcours.
Nous voilà partis sur les routes des polders en direction de Marken. En traversant les villages de pêcheurs aux maisons bardées de bois, c’est un autre paysage qui s’est offert aux yeux émerveillés des élèves. Certains semblaient même essuyer quelques larmes prétextant – sans doute par pudeur – que c’était à cause du vent. Mlle C. a fait profiter les élèves de ses connaissances en matière de faune : « vous voyez, les enfants, ceci n’est pas une mouette, c’est un héron ; ceci n’est pas un lama, c’est un mouton ; ceci n’est pas un agneau, c’est la viande qu’il y aura ce midi dans nos assiettes. »
La route du retour fut tout aussi agréable et nous a longuement permis de traverser des zones de marécages qui, au bout d’un moment, semblait quelque peu répétitif aux yeux. Pour rompre cette monotonie, les élèves se sont concertés pour nous permettre de montrer toutes les facettes de l’accompagnement pédagogique : rassurer les élèves fatigués, réparer les freins, enlever les sangles du sac à dos coincés dans la chaîne, réparer les rayons d’un vélo, relever ceux qui tombaient, faire la jonction entre les échappés de tête et la queue du peloton.
« Soyez là à 17h » nous avait dit le loueur de vélos en partant. Il avait simplement oublié de préciser de quel fuseau horaire il parlait. Résultat, nous étions bien là à 17h heure de Moscou. Après une journée de vélo, nous étions tous des Hollandais : plus de file indienne, de code de la route, de sens interdit,… « I Amsterdam » pouvait dire chaque élève.
Une leçon de vie sur la nécessité de respecter les règles et les lois, qui prépare merveilleusement bien la visite de la cour internationale de justice de La Haye demain.
A demain pour le dernier communiqué de l’Etat-major de la Division Condorcet.
Maréchal L.
Jour 6-
Une journée à La Haye.
Cher journal,
Si le début du voyage était marqué par les guerres et la mémoire, la visite d’aujourd’hui était placée sous le sceau de la Paix et de la Justice internationale. Les élèves ont ainsi pu visiter une annexe du Palais de la Paix, siège de la Cour internationale de Justice. Avant d’entrer dans le bâtiment, nous avons eu le plaisir de remarquer que la reine Beatrix s’était arrangée pour passer en carrosse et saluer notre petit groupe. L’exposition, fort intéressante, leur a permis de comprendre l’histoire des mouvements pacifistes de la fin du XIXe siècle à nos jours, et d’attacher un ruban à l’arbre de la paix.
Nous avons ensuite déjeuné dans la cour du parlement néerlandais. En ouvrant nos pique-nique, quelle surprise de découvrir des sandwichs qui – le croirez-vous ? – étaient en forme de triangle. « Comme tous les jours, nous ont rappelé nos élèves ». « On ne sait pas, leur a-t-on répondu, on mange tous les jours au resto. »
Après le repas, les élèves ont pu découvrir le musée Escher : apparemment inquiet, l’un d’entre eux nous a dit : « on pourra tous y aller, vous pensez ? » « Pourquoi ? lui avons-nous répondu » « Parce que le musée est cher. » Tous les élèves n’ont pas, on le voit bien, la finesse des traits d’esprit de leurs professeurs.
Bien sûr, ils ont été impressionnés par les premières œuvres de l’artiste et par son jeu de perspectives. Nous-mêmes étions particulièrement déstabilisés, ne retrouvant pas nos repères, … Alors que nous cherchions à reprendre nos esprits, Mme K. a tenu à nous expliquer la différence entre une lithographie et une xylographie. Une différence que nous expliquerons volontiers à ceux qui sont intéressés quand nous aurons moins mal à la tête.
Puis nous sommes rentrés en bus à Amsterdam, nous avons dîner et les élèves ont préparé leurs bagages. Alors que nous faisions scrupuleusement le tour des chambres, un élève nous a alerté : « Monsieur, les Allemands à côté de notre chambre font beaucoup de bruit. Ils mettent la musique, tapent dans les murs… ça fait quatre nuits qu’on ne dort pas » « On ne sait pas, leur a-t-on répondu, on est logé au Ritz. »
Une fois de plus, nous achevons ce rapport à une heure avancée. Certains pourraient nous reprocher d’avoir relaté notre expérience de manière peu objective. Et tous les soirs, cette même question : serons-nous lus ? Y a-t-il quelqu’un au bout du fil ? Sommes-nous seuls dans l’univers ?
Alors, oui, parce qu’il est difficile de terminer ce texte, nous choisissons de le suspendre en plein milieu d’une phrase de manière totalement inattendue. Connaissez-vous la différence entre une lithographie et une xylographie ? En réalité, c’est très simple : c’est une technique qui consiste
Etat-major de la Division Condorcet